L’étourdissement

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Le 29 mai 2010, à14h03 précisément, mademoiselle Maria Aristides, tombe soudainement en syncope au beau milieu du trottoir. Au moment de l’incident, elle se remémorait les scènes d’un film àsuspens qui l’avait fortement impressionnée pendant son enfance et dont elle avait oublié le titre.

Un passant appelle immédiatement les secours.

Le jeune ambulancier Nicolas Jacob n’avait pas terminé sa salade de pâtes au thon, lorsqu’il a dà» intervenir  d’urgence sur les lieux de l’incident.

Il avait néanmoins pris soin de refermer sa boîte Tupperware® afin de terminer paisiblement son déjeuner après cette intervention, si toutefois les obligations professionnelles lui laissent un sursis providentiel.

Il est 14h35 lorsque l’intrépide véhicule amène Maria Atistides au Centre Hospitalier Universitaire de Bruxelles-ville. Notre piétonne émerge alors doucement de son état inconscient. Comment en était elle arrivée àrepenser àce film ? Quel chemin son inconscient tortueux s’était frayé pour faire advenir le souvenir de ces images enfouies ?

Ces questions s’évanouissent quand le lit roulant est pris en charge par l’infirmière Geneviève Michaux qui s’empresse de le conduire auprès du docteur Demeure. L\\’infirmière est inexplicablement nerveuse.

Ce dernier décide de garder la patiente pour effectuer quelques examens complémentaires.

Maria Aristides est installée dans une chambre décorée d’une reproduction d’un portrait de clown triste par Bernard Buffet. Il n’y a personne dans le lit voisin sur lequel elle décide de s’installer.

Une heure passe. Maria Aristides s’ennuie, elle aimerait bien reprendre la lecture du livre d’Éric-Emmanuel Schmitt qu’elle a entamé la veille mais elle ne l’a pas emporté avec elle. Elle explore sa nouvelle résidence mais le nombre de découvertes s’avèrent vite assez limité, voire nul. Comment s’appelait ce film encore ?

Elle aurait au moins souhaité regarder la télévision mais elle ne parvient pas àallumer le poste. Elle appelle l’infirmier au moyen du boîtier de commande qui est àsa portée. Arnaud Lopez interrompt la partie de Super Mario sur sa console portative et vient au chevet de l’infortunée. Il lui explique qu’elle doit se procurer une carte àl’accueil pour activer l’écran.

C’est àce moment-làque Geneviève Michaux, revenue de sa pause cigarette, vient installer un cathéter dans le bras de Maria Aristides, qui commence àse demander ce qu’elle fait là. Il est 17h46.

Geneviève installe Maria sur une chaise roulante pour l’emmener au service de radiologie. Maria proteste, elle préfère marcher, mais l’infirmière insiste.

La radiologue adresse àpeine la parole àMaria, lui donnant les instructions minimales. Elle est d’avantage occupée àécouter le docteur Demeure qui narre son audacieuse expérience de saut àl’élastique depuis un pont dans le Languedoc-Roussillon.

Maria est totalement résignée. Elle se laisse même faire quand l’infirmier Isham Rhamoun, qui vient de prendre son service à19h00, vient lui donner la becquée comme àun nourrisson.

Isham Rhamoun est parti. Au milieu de la nuit, Maria décide de laisser làsa chaise roulante et de s’aventurer hardiment dans les couloirs de l’établissement de soin. Il est minuit passé.

Personne ne semble s’inquiéter de son escapade dans le dédale hospitalier mais pas forcément accueillant pour autant.

Durant des heures, Maria erre comme un fantôme dans les boyaux déserts du monstre architectural.

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Elle termine son excursion nocturne au bout d’une impasse solitaire.

En contemplant le parking presque vide de l’aile ouest, elle réalise soudain ce qui a pu la replonger dans l’évocation de ce film sans nom. Elle ferme les yeux : une sarabande de bruits urbains, faite de rame de métro, de crissement, de clameurs intempestives et de choses indéterminées, avait concocté cette madeleine sonore.

Le jour s’est levé. Deux médecins, que nous ne prendrons pas la peine de nommer, une fois n’est pas coutume, approchent. Maria regagne discrètement sa chambre, sans oublier de se procurer une carte « Â Télé  » àl’accueil au rez-de-chaussée.

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Elle passe la matinée àsomnoler et regarder des dessins animés, Pierre Bellemare, Le jour du Seigneur et les actualités. En début d’après-midi, c’est le film du dimanche. Elle reconnaît alors, le film qui n’a cessé d’occuper ses pensées depuis la veille.

Maria Aristides, toute émue, retombe en enfance. Dans le fracas des locomotives, des cris stridents et de la fureur du film, elle finit par s’endormir, le cœur remplit d’images lointaines et inespérées. Il est 14h00.

FIN.

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