Cher ami lecteur, après avoir livré "Inferno" sans aucun mot d’intro pour avoir des réactions à chaud, voici une petite postface qui, je l’espère, vous fournira une clé de lecture et, peut-être, vous donnera envie de le relire et de le commenter avec un oeil nouveau.
"Inferno" est une accumulation de petites scènes se développant autour d’un personnage principal dans son appartement. Un huis-clos dans lequel le personnage va évoluer en une suite chorégraphique de gestes. Avec la volonté, au fur et à mesure des scènes, de montrer l’appartement comme métaphore de son espace mental. Un monde hermétique, construit où les rares infiltrations sont brouillées ou fantasmées. Où la réparation est une constante, ainsi que la lente désagrégation. En effet, chaque série de gestes correspond à des cycles de comportements. Soit un comportement passif, où le personnage semble subir, est en proie à des visions, des dédoublements, des métamorphoses… Soit il procède aux réparations de l’appartement, soit participe à sa destruction. A chaque début de scène, le lecteur se retrouvera au début d’une boucle perturbée par l’intrusion incongrue d’un objet ou d’une apparition (idées délirantes, hallucinations, détachement, étrangeté sont des formes que revêt la schizophrénie).
C’est par soucis de cohérence avec le sujet que je propose ce type d’approche. "Inferno" va accumuler de micro-récits qui vont constituer un ton, une ambiance, une sédimentation narrative plus de l’ordre de l’impression que du racontable. C’est une compilation de rêves (ou cauchemars) rappelant la systématique des “cauchemars de l’amateur
de fondue” de Winsor MacCay. Une structure qui s’adapte le mieux au sujet, puisqu’il évoque le vécu de la folie, par essence à la fois sentiment de brisure, chaos, perturbation, systématiques.
Chorégraphie
Le personnage a un catalogue précis de gestes qu’il va exécuter (autres symptômes : discordances psychomotrices entre exécution et suspension du mouvement, actions impulsives, claustration, colères destructrices, actions répétées, inertie). Scènes après scènes ces gestes et leurs intermédiaires sont repris mais exécutés soit dans un autre ordre, soit dans un autre contexte, ce qui donne lieux à d’autres significations. Ajouté à cela des éléments du décor qui peuvent influencer le sens de la scène. Le procédé technique de dessin 3d confère à l’appartement un aspect immuable et directement reconnaissable, crédible, réaliste mais gardant cet aspect factice qui le renvoie à sa nature de décor. Tout dans le rythme des répétitions donne l’impression au lecteur d’arriver dans un monde hermétique a-temporel sans savoir s’il est au début d’un cycle où si celui-ci n’est que l’aboutissement du précédent. Notre personnage est-il en train de construire, de détruire, de réparer ce qu’il a démoli ou de défaire ce qu’il vient de raccommoder ? Le neuf et le vieux s’abolissent, plus de début, ni de fin, il ne reste plus qu’un temps présent hermétiquement clos.
Les sources d’ "Inferno" :
• Ce récit est très librement inspiré de “Inferno” d’August Strindberg (1849-1912). Une sorte de journal halluciné, débordant, contradictoire, peut-être un manuel d’auto-analyse dans lequel il décrit ses peurs, ses tourments, ses angoisses paranoïaques. Pour Strindberg “l’enfer est sur terre, en nous, chez les autres”. C’est un journal et donc une vision à la première personne, où ce “je” est perturbé au point que le lecteur fait un constant va et vient entre l’identification au personnage principal et la mise en doute du narrateur qui sont une seule et même personne. Tremplin idéal pour le plongeon dans le monde tourmenté de l’esprit.
• L’atlas du cerveau (Rita Carter, éditions autrement) ou sont répertoriées plusieurs anecdotes relatant le vécu de certains “malades” selon la partie du cerveau atteinte.
• Une série d’articles sur les caractéristiques de l’état de névrose, de dépression et de schizophrénie, sur les formes, symptômes et vécus de ces perturbations psychiques.
• Des tableaux et dessins de personnes atteintes de névrose, dépression ou schizophrénie.
Je remercie encore chaleureusement la psychologue Renata Squarci qui a été la source ces précieux documents.