L’épuisement

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Au début, on pouvait parler de simples somnolences.

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Au bureau, àforce d’assoupissements, mon rendement s’en ressentait déjà.

Chez moi, de plus en plus, je me couchais de bonne heure.

Et je me levais chaque jour plus péniblement, au dernier moment.

Après quelques retards, je n’allais plus au travail.

Un matin, le médecin me rendit visite et me prescrit, comme une formalité quelques cachets pour la tension. Sans effet ! Le sommeil s’intensifiait.

Les temps d’éveil diminuaient. Par prévoyance, j’achetais des tas de provisions.

En rentrant, je m’écroulais sur mon lit. Je ne le quittais plus.

3

On a téléphoné, j’étais renvoyé. Je ne m’en faisais pas, je dormais. Quand on dort, on ne  s’en fait pas.

On a peut-être sonné, un collègue ou l’autre, je n’ai rien entendu.

C’est mieux ainsi, il m’aurait emmené, contre mon gré, àl’hôpital.

Les hôpitaux, je les déteste. Mes collègues aussi.

Et puis surtout, il ne doivent pas me voir. Pas dans cet état.

Le sommeil agissait, àla fois comme une volupté et comme une condamnation. Par la fente de la porte, des factures et des rappels.

Le téléphone fut coupé. De toute façon, àqui téléphoner ?

Pas àmes collègues ! Pas àma famille, trop éloignée, trop vite inquiète !

L’eau fut coupée, puis le courant.

Une odeur se dégageait, celle du logement, de la vaisselle amoncelée, des déchets accumulés, et la mienne.

De rares moments d’éveil. Il me permettaient, mais jamais d’avantage, de me sustenter, de me soulager.

Sauf vers la fin. C’était gênant, pour l’estomac et pour l’hygiène.

Les provisions furent elles aussi, épuisées.

Je me traînais dehors, amaigri, jusqu’àune impasse toute proche.

Je me coinçais, me cachais, presque de honte, entre deux poubelles.

J’espérais trouver, àchaque réveil, quelques résidus alimentaires.

Quand on sortait les poubelles, je dormais. Quand on les enlevait, je dormais.

Sans réelle notion de durée, j’en déduisais cependant que mes temps de sommeil étaient longs.

J’ai du mourir pendant l’un deux.

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